Monaco Energy Boat Challenge 2021 – Table ronde sur l’hydrogène
Dans la droite ligne de la journée de la veille, le groupe de travail sur l’hydrogène à Monaco s’est réuni vendredi 9 juillet pour une matinée qui a largement dépassé le temps imparti ! La session qui ne devait durer qu’une matinée s’est terminée à presque 14h ; mais c’est parce que les échanges ont été intenses et fructueux, les confrontations de points de vue nombreux, les spécialistes et les représentants des organes institutionnels invités à discuter de l’évolution de l’implantation de l’hydrogène dans la région et en Principauté se révélant plus que passionnés par le sujet.
Organisée en deux sessions de tables rondes rassemblant une dizaine d’intervenants, la matinée a tout d’abord permis au groupe de travail de faire le point de la situation du déploiement de l’hydrogène dans les territoires, avant de s’intéresser aux applications concrètes et à leur implémentation dans lesdits territoires.
Après une introduction par M. Samy Touati, Secrétaire Général du Département de l’Équipement de l’Environnement et de l’Urbanisme du Gouvernement Princier, et celle de M. Philippe Mondielli, Directeur Scientifique de la Fondation Prince Albert II de Monaco, qui ont rappelé l’importance de telles réunions avec l’ensemble des acteurs pour faire avancer les choses, M. Bernard d’Alessandri, Secrétaire Général du Yacht Club de Monaco et Président du Cluster Yachting Monégasque, a officiellement ouvert la séance en expliquant à quel point il était important que la Principauté et la grande plaisance considèrent la place de l’hydrogène et son déploiement possible en Principauté comme des axes prioritaires dans la poursuite des objectifs de décarbonation fixés par le Gouvernement Princier.
Mesdames Annabelle Jaeger Seydoux, Directeur de la Mission pour la Transition Énergétique de Monaco, et Virginie Haché-Vincenot, Chef de Division à la même Mission pour la Transition Énergétique de Monaco ont cependant expliqué que la Principauté avait fait initialement le choix de l’électrification du port et se trouvait ainsi, selon elles, bien équipée pour répondre aux besoins des navires faisant escale, même si la Digue du Large qui accueille les navires de croisière et les megayachts ne l’est pas. Bien que le Gouvernement soit très au fait de l’intérêt pour l’hydrogène, en particulier dans le maritime, elles ont estimé que cette solution restait une option future plutôt qu’actuelle, avançant, sur la question de la fourniture d’énergie complémentaire lors de grands événements comme le GP de Formule 1 ou le Monaco Yacht Show que le réseau actuel était en mesure de répondre aux pics de demande, sans recours à des générateurs diesel, et que l’utilisation d’alternatives électro-hydrogène n’était pas nécessaire.
Bruno Frachon, Conseiller au Cabinet de Mme Annick Girardin, Ministre la Mer (France), qui intervenait en distanciel a alors expliqué que la France s’était désormais engagée dans une politique volontariste pour envisager rapidement une amélioration de la situation des ports français, qu’il s’agisse de l’électrification à quai pour la fourniture permanente d’électricité ou de différentes options pour l’utilisation de solutions « décarbonées » permettant d’éviter le recours aux énergies fossiles pour les navires de passage. M. Frachon a d’ailleurs ainsi pu apprécier les initiatives déployées par le Port de Toulon, sous l’égide de M. Jérôme Giraud, Directeur de la Chambre de Commerce du Var, qui a lui déjà fait le pari de l’hydrogène, et a détaillé l’installation à venir de groupes électro-hydrogène vertueux en complément du réseau existant, ainsi que la mise en place d’une station hydrogène et de partenariats pour l’avitaillement en hydrogène vert en provenance du plateau de Signes avec le projet SunrHYse. Surtout, M. Giraud a insisté sur l’importance d’envisager la question sous l’angle d’éco-systèmes complets pouvant à la fois servir au maritime et au terrestre, que ce soit pour la mobilité ou pour répondre au surcroît de besoins d’énergie, sporadiques ou continus, qui ne feront qu’augmenter. Arguant que la preuve était faite que l’hydrogène était bien une solution d’aujourd’hui, il a aussi avancé la nécessité pour les organismes publics de ne pas remettre au lendemain le règlement de « la question de la poule et de l’œuf »: pour avoir des usagers il faut une infrastructure en place, et si les usagers doivent attendre que les infrastructures se mettent en place, alors il n’y en aura pas, et le recours au diesel perdurera.
C’est cette même approche « éco-systémique » qui a été mise ensuite en avant par M. Romain Cardelli, Conseille Environnement du Pôle Transition et Accompagnement de Projets auprès du Cabinet de M. Christian Estrosi pour la ville de Nice et la Métropole Nice Côte d’Azur. Partant de la production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables pour un usage local, M. Cardelli a expliqué comment la stratégie de Nice était d’adresser l’ensemble de la chaine et de mettre en place les infrastructures afin de pouvoir dans un premier temps décarboner la mobilité urbaine, en particulier le transport lourd, pour massifier le volume des usages de façon à permettre des économies d’échelle conduisant rapidement à une diminution de l’impact économique de la transition. Une approche qu’il entend appliquer également au port de Nice et aux usages maritimes, en particulier dans le cadre du renforcement de l’utilisation de la façade méditerranéenne pour le transport public, que ce soit de Nice vers Monaco ou d’autres villes côtières — afin aussi de réduire le recours à l’automobile, en particulier vers la Principauté.
Côté italien, le Docteur Stefano Besseghini, Président de l’Autorité de Régulation de l’Énergie, a admis que son pays n’était pas forcément le plus en avance sur le sujet, mais que cela se justifiait aujourd’hui par rapport au choix à faire, en particulier par rapport aux possibilités de production, d’importation et de distribution d’hydrogène vert qui ne sont pas encore en place. Cela faisait d’ailleurs écho aux explications de la veille sur l’impérieuse nécessité de massifier la production d’hydrogène vert pour envisager une décarbonation qui doit réellement valable. Il a par ailleurs indiqué que la priorité dans l’utilisation de l’hydrogène – et donc la mise en place des infrastructures liées – serait essentiellement pour le transport lourd, les camions, admettant que le maritime côtier (dont fait partie la plaisance) n’était pas considéré comme une cible première.
Cette première session s’est conclue par la prise de parole de Mme Anne-Marie Perez, Responsable de la Délégation France Hydrogène en région Sud, qui a expliqué comment France Hydrogène travaillait à une harmonisation des situations comme des réglementations, la particularité de la France étant la façon dont les délégations de service public au niveau de la gestion des ports rendait complexe aujourd’hui une telle coordination à l’échelon national, mais aussi européen ; tout en soulignant que la volonté des états, des régions se traduisait bien aujourd’hui par de nombres projets en cours à ces mêmes échelons, avec d’importants moyens financiers d’accompagnement pour soutenir les porteurs de projet.
En prolongement de ce point de situation, la deuxième session de la matinée a donné la parole aux acteurs de la transition hydrogène, ceux-là même qui sont sur le terrain et dont les entreprises « essuient les plâtres » de cette phase de transformation des usages, de l’implantation des infrastructures et font parfois face à des réglementations peu adaptées, ou qui n’existent pas vraiment.
La première d’entre elles à intervenir a été Chloé Zaied, fondatrice d’Hynova Yachts, dont le premier bateau de plaisance hydrogène homologué au monde participait au Energy Boat Challenge en conclusion d’un Sea Show qui avait démarré fin mai à Marseille pour se terminer en Principauté après avoir fait escale dans plusieurs ports de la région, dont Toulon, Saint-Tropez, Cannes et Nice. Son constat fut sans appel : bien qu’ayant été accueillie à bras ouverts dans la plupart des étapes du Sea Show par les officiels, elle a dû s’employer à résoudre avec force résilience des problématiques administratives du fait de l’utilisation de l’hydrogène, et a été confrontée à la nécessité de remplir ses réservoirs en pleine nuit ou petit matin en faisant venir des camions chargés de bonbonnes d’hydrogène à transvaser dans les réservoirs du bateau avec une station mobile et un compresseur dont le coût s’avère être exorbitant. En d’autres termes, la possibilité même pour elle d’exploiter son bateau zéro émissions est presque inexistante parce que personne ne prend la décision (mis à part le port de Toulon) d’implanter de stations hydrogène sur son territoire. Elle a des clients intéressés pour acheter son bateau, des chantiers et des architectes navals de la plaisance et grande plaisance qui ont des armateurs prêts à passer à l’hydrogène, et le seul obstacle devient infrastructurel et/ou réglementaire ; alors que la technologie a prouvé sa maturité.
Le discours de Chloé Zaied était corroboré par M. Cyril Dufau-Sensot, Directeur de la société Hy2Gen, qui implante l’usine de production d’hydrogène vert du plateau de Signes dans le Var, et est revenu sur la dimension économique de la question. Comme il l’a expliqué, d’ici deux ans, la production locale va permettre de faire descendre les coûts de fourniture d’hydrogène vert à moins de 10€ le kilo. Puis, très rapidement ce tarif va chuter pour devenir compétitif par rapport à l’essence ou au gasoil ; et il chutera d’autant plus vite que les usages vont se multiplier, surtout avec de grands consommateurs que sont les bateaux. Dans le schéma récurrent « de la poule et de l’œuf », une image souvent utilisée par les intervenants, il est impératif d’accompagner les usagers et d’investir dans les infrastructures de distribution pour leur permettre d’être usager. Tant que ce cap ne sera pas franchi, il restera compliqué d’avoir des opérateurs comme des professionnels qui s’engagent et font les investissements dont la rentabilité ne sera pas assurée dans un futur immédiat. Mais si tout le monde attend que quelqu’un d’autre fasse le premier pas… d’autant que les producteurs comme les chantiers navals qui s’engagent font déjà de leur côté les investissements. On ne peut pas leur demander de tout porter ?
C’est pourtant là le sens du témoignage apporté par MM. Huber, Président de H2 Energy, et Hirschi, Chef du Département Transport de la société de grande distribution COOP en Suisse. Relatant leur expérience des huit dernières années, ils ont expliqué que c’était grâce à leur persévérance et, surtout, à un vrai partenariat entre un utilisateur final, la COOP, et le porteur de solutions, H2 Energy, qu’avait pu être mis en place un éco-système circulaire autour de l’hydrogène allant de la production à la distribution et à l’utilisation pour répondre à un besoin d’énergie propre faisant partie de la stratégie de l’entreprise, prête à investir dans de le développement de camions hydrogène en collaboration avec un constructeur automobile.
Huber a en particulier insisté sur le fait que sans un tel écosystème il était impossible de franchir les points de blocage, et que c’est par la prise de responsabilité de chacun dans son rôle de « brique », qu’elle soit technologique, logistique ou économique, qu’il était possible de créer les conditions favorables à la transition. Au final, la Suisse est ainsi aujourd’hui le premier pays au monde en quantité d’hydrogène distribué par station, avec plus de 30 tonnes par an et par station, quand la France, qui ne compte que quelques stations, n’atteint pas la tonne.
C’est ensuite M. Wenger, fondateur de Wenger Engineering, qui a partagé avec les participants le retour d’expérience de l’Allemagne, un pays visiblement bien en avance sur le sujet, à l’instar de nos amis suisses. Avec plus de 100 stations terrestres et un hydrogène vert déjà disponible à moins de 10€ du kilo, l’Allemagne développe les usages de l’hydrogène pour les trains, les bus, les camions, et entend bien accélérer, grâce en particulier à l’évolution des technologies de stockage qui sont loin d’avoir atteint un plafond de verre et permettront de décupler le potentiel d’autonomie des utilisateurs — un point rappelé par M. Rudelle, Directeur Général France de LMG Marin, une société norvégienne impliquée dans des projets de grands navires utilisant l’hydrogène liquide (à -253°C).
Eco-systèmes, économie circulaire, H2 Ready, rôle et responsabilité de chacun, tels sont quelques-uns des mots-clés qui ont ponctué ces sessions de travail, avec un slogan percutant verbalisé par M. Huber et repris plus ou moins explicitement par l’ensemble des acteurs du quotidien de l’hydrogène : « action, not words ». Un bel écho aux propos de Bernard d’Alessandri lorsque le YCM a lancé le SEA Index ou lorsqu’il célèbre cette année la 8e édition du Monaco Energy Boat Challenge.
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