Monaco Energy Boat Challenge

 

La conférence de ce jeudi 6 juillet du Monaco Energy Boat Challenge avait pour thématique « transition et durabilité : défis, implication et adoption ». Si les problématiques liées à l’utilisation de nouvelles solutions et énergies (propres) ont été au cœur des discussions, les panelistes se sont également attachés à en analyser les conséquences sur l’ensemble de l’écosystème : de la R&D à la conception, du développement à la construction de bateaux ; qu’il s’agisse de voiliers de course au large, de motonautisme, de plaisance ou de grande plaisance. Un tour d’horizon assez vaste donc, mais des conclusions qui s’imposent quel que soit le segment concerné.

La première conclusion, portée entre autres par les équipes de Blue Game et celle d’Umberto de Luca, chef de projet du team Luna Rossa – Prada Pirelli, qui développent des chase boats hydrogène volant à 50 nœuds pour répondre au cahier des charge de la Coupe de l’America, est que la complexité de tous ces bateaux à la pointe de la technologie nécessite d’impliquer de nombreux partenaires, fournisseurs, ingénieurs et chercheurs dans des domaines variés, en amont et tout au long de la chaîne de conception plutôt qu’en aval. Comme le rappelle Jeff Butler, rédacteur en chef de Plugboats.com, spécialiste des bateaux électriques, aujourd’hui un navire est autant un ensemble d’interactions entre différents métiers qu’entre des systèmes complexes qu’il faut faire fonctionner ensemble, et automatiser autant que possible. Le temps du simple moteur à combustion, où il suffisait de rajouter des chevaux ou du gasoil pour aller plus vite ou plus loin, est révolu.

La deuxième conclusion est que l’efficience doit être au cœur des préoccupations, et qu’il faut inverser en partie l’angle de vue, pour que l’approche, et donc l’ingénierie, soit holistique ; ce que n’a pas manqué de souligner Rodi Basso, CEO du championnat de motonautisme électrique E1 également impliqué dans la Formule E, avançant que « les ingénieurs de l’Energy Boat Challenge ont un bel avenir devant eux », quand Luca Santella, Responsable du développement produit chez Blue Game, estime que ce sont eux qui, « avec leur passion, leur énergie et leur préoccupations environnementales » vont permettre d’accélérer le rythme des transformations.

Ce qui amène à une troisième conclusion, moins enthousiasmante : malgré de récentes avancées ; malgré une volonté affirmée d’être plus proactive ; et malgré l’implication de nombreux chantiers, l’industrie de la plaisance reste plutôt conservatrice, et travaille sur le temps long, ce que reconnaît Nino Ascone, Responsable Ingénierie et Design pour le groupe Ferretti. On se souvient par exemple que le premier prototype de bateau électrique à foils fut présenté par Jérémie Lagarrigue au Yacht Club de Monaco en 2014, mais que le Candela C8 qui incarne aujourd’hui la production en série de cette technologie n’a rejoint le MC Energy Boat Challenge qu’en 2023, près de 10 ans plus tard. Alors certes l’efficacité des foils et l’efficience des batteries semblent, entre autres, des voies plus que prometteuses pour poser les bases de l’avenir d’une plaisance la moins carbonée possible ; mais que cela prend du temps pour passer de la R&D à la série !

Comme le souligne Charles Dence de Spark Marine Projects, l’adoption de nouvelles solutions durables est aussi une question de « coûts en rapport des avantages procurés, qui seront mieux portés par des industries de masse comme l’automobile ou l’aérospatiale », ou, remarque Michel Marie, spécialiste de l’Analyse du Cycle de Vie chez Marine Shift 360, « nous viendront du shipping ». En ce sens, note Adrien Thoumazeau de Lateral Naval Engineering, « la courbe de validation de la maturité des technologies et de leur adoption montre bien que, pour certaines d’entre elles comme l’hydrogène, nous n’en sommes encore qu’aux prémices, alors même qu’elles sont techniquement déjà disponibles et performantes. Il y a aussi la notion de mitigation du risque à prendre en compte, non seulement du risque technologique, mais aussi du risque économique et de la valeur ajoutée apportée. »

Trouver le juste compromis, le bon timing entre développement, maturité technologique, mise sur le marché et adoption par ledit marché n’est donc pas chose facile, surtout quand des questions réglementaires ou politiques viennent parfois interférer. Mais c’est là aussi où la compétition a un rôle à jouer. Qu’il s’agisse d’imposer un cahier des charges où la durabilité est un critère essentiel, tel les IMOCA, ou d’utiliser ces terrains de jeux pour conforter l’utilisation de nouvelles solutions, comme les foils devenus incontournables, la compétition n’est plus seulement un laboratoire. Imogen Dinham-Price, Responsable du développement durable pour les IMOCA, a ainsi pu montrer que l’intégration d’une ACV au règlement de la Classe est une contrainte vécue de façon positive qui définit des indices de performance et permet d’améliorer l’impact carbone à partir d’analyses objectives, grâce à l’outil développé par Marine Shift 360.

On retrouve ici les parallèles établis avec d’autres secteurs plus industriels — ou, à nouveau, l’automobile revient en ligne de mire, en particulier la Formule 1. Mais comme le signale Alex Bamberg, CEO d’Aqua superPower, l’histoire de Tesla est aussi emblématique, tout comme son succès, quand faire face à des limitations infrastructurelles, des freins industriels ou réglementaires fait partie d’un processus souvent long et fastidieux sans être insurmontable ; même si, comme il le souligne, c’est souvent « trop long… quand notre maison brûle, et que le mois de juin 2023 a été le plus chaud jamais enregistré dans l’histoire de la planète ! »

Enrico Benco, qui a développé un matériau composite recyclable pour le groupe Permare / Amer Yachts, en convient, mais veut rester positif : « C’est vrai, nous devons passer de la simulation en R&D au prototypage, à la validation technique, encore et encore, puis à la validation pratique en application marine, très contraignante dans un environnement salin agressif, puis à la certification ; et seulement alors peut-on envisager la production ou l’industrialisation, à condition bien sûr que des armateurs acceptent d’être pionniers, et de payer le surcoût induit par ces longues années de développement. Mais on y arrive. »

Le mot de la fin reviendra à Jarkko Jamsen, architecte naval à la tête du studio Navia et ingénieur passionné de technologie, qui travaille autant sur des grands projets que de petites unités. S’il insiste qu’il est « aujourd’hui techniquement, mathématiquement impossible d’avoir un yacht de 50m+ qui soit tout électrique, notre travail reste d’explorer les possibilités, de combiner les solutions, d’expérimenter les nouvelles alternatives et de les proposer au marché ; car nous avons la chance de faire partie d’un univers où il y aura toujours des clients prêts à être des pionniers, si tant est que nous leur démontrons que ça marche ! »