Monaco Energy Boat Challenge – Conférence du jeudi 8 juillet
Dans le cadre de l’Energy Boat Challenge, une série de conférences et d’échanges s’est tenue jeudi 8 juillet pour proposer à un auditoire expert, dans la Ballroom du Yacht Club de Monaco et en ligne, de réfléchir ensemble aux initiatives et solutions pour favoriser la décarbonation de la plaisance. 12 intervenants se sont succédés à la tribune, lors une journée segmentée en quatre sessions : le mix énergétique et les carburants alternatifs ; les solutions pour la propulsion ; les nouveaux matériaux ; et, enfin, les initiatives pour la prise en compte de l’Analyse du Cycle de Vie d’un bateau. Pour une vision à la fois panoramique, technique et précise des problématiques rencontrées.
La journée a commencé par un « keynote » de Bastien Bornand, ingénieur énergéticien du bureau d’études d’EODev, proposant une analyse très détaillée de l’ensemble du spectre des solutions énergétiques et carburants pour la propulsion des navires – présentation à télécharger ici. Son analyse scientifique a permis de tordre le cou à certaines vérités qui n’en sont pas, et mis en évidence qu’il n’y a pas de solution universelle à ce jour, et qu’il n’y en aura pas non plus demain, car une grande partie des réponses à apporter tient à la fois dans l’évolution des technologies dans les années à venir — on en reparlera pour l’hydrogène — et, surtout, dans l’adéquation entre profil d’utilisation et mix énergétique adapté. Focalisant sur les impacts environnementaux, des émissions de CO2 aux particules fines, en passant par les NOx et SOx, sans tenir compte de l’aspect économique, Bastien Bornand a par exemple expliqué comment l’utilisation d’hydrogène « gris », fabriqué à partir d’énergies fossiles, est en fait pire pour la planète que l’utilisation de carburants traditionnels. Il a par ailleurs mis en évidence la pertinence de l’utilisation d’énergies renouvelables intermittentes, solaire en particulier, en combinaison avec des solutions de stockage comme les batteries ou l’hydrogène, du moment qu’il est « vert », c’est-à-dire produit à partir d’énergies renouvelables comme l’éolien ou la biomasse — à partir du moment où on utilise de la biomasse sans nuire à l’environnement. Il a aussi détaillé pourquoi les bio-carburants et carburants de synthèse sont des solutions valables à court terme pour réduire significativement les émissions de CO2, mais ne sont pas la panacée et ne permettront pas selon lui d’apporter une réponse satisfaisante à l’ensemble des besoins. Gregory Romano de Romano Energy dont c’est la spécialité et qui intervenait à la suite de Bastien Bornand, s’est montré plus optimiste. Vantant les mérites desdits bio-carburants dans la lutte actuelle pour les gaz à effet de serre, il a estimé que la R&D sur la production de tels carburants qu’on appelle de 4è génération était suffisamment aboutie pour ouvrir des perspectives satisfaisantes, tout en admettant qu’à long terme cette réponse ne s’adresserait pas à tous les usages. Niels Joyeux, CEO de Zephyr et Borée a ensuite démontré, à travers l’utilisation des OceanWings de VPLP déjà testées sur Energy Observer et désormais en cours d’installation sur le navire de transport des pièces de fusée d’Ariane Group, Canopée, que le recours à l’éolien était tout à fait d’actualité, en particulier pour le transport de frêt — ou comment exploiter un principe antédiluvien avec les technologies d’aujourd’hui. Même si, dans le yachting, il reste le manque d’intérêt de la majeure partie du marché pour ces solutions.
La session suivante s’est intéressée à l’évolution des systèmes propulsifs. Des générateurs diesel optimisés de Zenoro, en passant par la stratégie de Cummins, premier fabricant de moteurs diesel dans le monde, qui développe désormais des solutions basées sur les piles à combustible et l’hydrogène, chacun a reconnu que l’avenir du yachting s’écrivait en mode « électrique » et, surtout, dans l’hybridation combinant l’utilisation de batteries à celle de l’hydrogène, qu’elle que soit sa forme de stockage. Stéphane Jardin d’EODev a ainsi démontré, via un cas d’étude concret, comment le profil d’utilisation d’un yacht permettait de dimensionner une hybridation intelligente et optimisée combinant les avantages des batteries pour de la puissance instantanée, à la performance de piles à combustible hydrogène pour accroître l’autonomie des bateaux. Le message était limpide : quand l’utilisation de batteries est limitée par leur poids, leur volume, et leur prix, pour obtenir la puissance nécessaire, le recours à l’hydrogène permet de mieux répondre aux problématiques d’encombrement, même avec du stockage gazeux à seulement 350 bars, tout en étant en réalité plus accessible. Surtout, avec la présence d’Hynova à l’Energy Boat Challenge, il a expliqué comment cette solution était déjà disponible et pouvait dès maintenant remplacer le « tout électrique », voire même des hybridations diesel-électrique — au moins sur des yachts de taille moyenne dans un premier temps, tant que les options de stockage d’hydrogène et les besoins de puissance ne permettaient pas encore d’équiper des superyachts de manière satisfaisante pour la propulsion ; mais seulement pour la vie à bord.
Cette session, placée sous l’égide de la Superyacht Eco Association, co- fondée par le Yacht Club de Monaco et Credit Suisse, et à l’origine du SEA Index (un outil d’évaluation de l’impact carbone des superyachts), a ainsi pu rappeler que si la propulsion est un critère important dans l’estimation de l’impact environnemental généré par la plaisance ou la grande plaisance, ce n’est pas le seul. En effet, la vie à bord est en particulier l’autre critère majeur à prendre en compte, ce que le SEA Index se propose de faire en évaluant les émissions carbones des générateurs des Superyachts de plus de 40m.
Après les carburants et les systèmes propulsifs le matin, l’après-midi a permis d’intéresser l’auditoire aux nouveaux matériaux composites recyclables ou d’origine naturelle utilisables dans la construction de bateaux, y compris sur des éléments structurels. La présentation de Paolo Manganelli et Nicolas Siohan de Gurit, société experte des matériaux composites et présente dans tous les secteurs de la mobilité mais aussi dans la construction, a ainsi mis en évidence comment l’Analyse des Cycles de Vie de différents matériaux associés à différentes solutions de propulsion modifie l’impact environnemental total d’un navire. Une démonstration qu’il faut bien prendre en compte l’ensemble de la chaîne de fabrication et d’utilisation d’un yacht pour en apprécier pleinement l’efficience écologique, dans la droite ligne des conclusions des sessions de la matinée. Cependant, dans ce domaine aussi il y a des raisons d’être optimistes. Qu’il s’agisse de la fibre composite développée par Permare & Amer Yachts en partenariat avec l’université de Bologne, à base de basalte et présentée par Barbara Amerio, ou du composite en bambou de Cobratex proposé par Edouard Sherwood, il est clair qu’une révolution est également en marche dans ce domaine. Mais les intervenants s’accordent aussi à dire, comme pour les carburants et les systèmes propulsifs, que les obstacles à surmonter pour envisager une massification des usages restent encore nombreux: des limitations réglementaires au temps nécessaire à la validation par les sociétés de classe et les autorités de telles évolutions technologiques, en passant par la pédagogie nécessaire auprès des utilisateurs pour qu’ils envisagent de sortir de leur « zone de confort », la mission de ces innovateurs est un travail de longue haleine qui se heurte aussi à une approche souvent, et malheureusement, très économique plutôt qu’écologique de la transition énergétique.
Enfin, la dernière session, consacrée aux initiatives développées pour faire justement bouger les lignes et confronter la dimension technologique de l’évolution nécessaire à la préservation de nos environnements à sa dimension comptable, a permis de mettre en avant dans un premier temps le travail de fond fait par Paris 2024 dans la préparation des Jeux Olympiques et par World Sailing dans le développement des événements nautiques à travers le monde pour atteindre la neutralité carbone, avant, pendant et après ces grands rendez-vous, en reliant ces objectifs aux opportunités entrepreneuriales et économiques qui peuvent en découler. C’est ainsi que Georgina Grenon, pour Paris 2024, et Dan Reading pour World Sailing, ont expliqué avoir mis en place de vrais outils d’Analyse des Cycles de Vie pour une meilleure prise de conscience de leurs équipes comme du grand public et de leurs fournisseurs des pistes à suivre pour diminuer plus que sensiblement les impacts de chacun sur l’environnement. Suivant l’adage « Aide-toi le Ciel t’aidera », ils ont expliqué que ce travail collectif de tous les instants couplé à une vision à long terme nécessairement holistique, selon une méthodologie précise et éprouvée, était aussi, pour eux, une façon de convaincre les utilisateurs ou consommateurs finaux de changer leurs façons de fonctionner, et d’être également moteurs de la transition écologique.
Une démarche applicable également à la grande plaisance, quand armateurs, architectes naval, chantiers et équipementiers se doivent d’être à la pointe du changement de paradigme, et œuvrer de concert à l’adoption de solutions dont la conférence a pu montrer qu’elles n’étaient pas qu’un rêve lointain mais une réalité d’aujourd’hui. Ce que la Superyacht Eco Association (SEA) et son Index ambitionnent de valoriser.
C’est d’ailleurs tout l’objet, et l’objectif, de la Communauté Portuaire de Paris (CPP), dont Grégoire Jourdan Gassin s’est fait le chantre. Suivant un travail de fond portant sur l’ensemble des types de bateaux navigant sur la Seine, il a expliqué que l’analyse détaillée de 6 profils (des bateaux-mouches aux pousseurs en passant par les péniches…), avait permis de lancer des projets-pilotes pour convertir plusieurs navires à des solutions propres, essentiellement à l’électrique dans un premier temps, avec en parallèle la mise en place d’une infrastructure adaptée et d’un accompagnement financier pour que les opérateurs soient aidés dans leur démarche. Et c’est dans le même esprit que Guillaume Arnauld des Lions, de la Fédération des Industries Nautiques françaises (FIN), a indiqué qu’il était désormais possible à tout armateur de bateau de 2 à 24m battant pavillon français de faire « déconstruire » gratuitement — et recycler autant que possible — des unités vouées à disparaître dont on ne sait pas forcément quoi faire. Une initiative, a priori unique en Europe voire dans le monde, qui a déjà permis de rayer des registres 2.500 bateaux en moins de 18 mois.
En résumé, la conclusion de cette journée pourrait être qu’il n’y a pas de solution miracle mais qu’il existe bien une myriade de propositions liées à des avancées technologiques matures qu’il convient d’adapter selon ses propres besoins, ses propres usages ; mais qu’il convient surtout d’adopter pour accélérer le mouvement et faire en sorte qu’infrastructures, réglementations, décisions politiques et accompagnements économiques s’adaptent au progrès, aux initiatives, plutôt que l’inverse.
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