Symposium Economique – Numéro #13

 

Rendez-vous annuel de l’industrie du yachting, le Symposium Economique « La Belle Classe Super-yachts », organisé par le Yacht Club de Monaco permet d’analyser le secteur, ses évolutions, ses enjeux et ses problématiques, mais aussi de réunir armateurs et professionnels.

Ils étaient 120 participants, répartis en présentiel et distanciel, venus échanger sur la manière dont leur industrie surmonte les crises, qu’elles soient financières (2008-2009) ou sanitaires (depuis 2020).

« C’est formidable de pouvoir continuer à débattre avec tous les acteurs du Yachting pour cet évènement dont nous célébrons aujourd’hui la 13e édition. Le contexte particulier nous a obligé à nous adapter, en organisant ce rendez-vous sous un format mixte : moitié présentiel – moitié distanciel. Faire preuve d’innovation et d’agilité est peut-être la clef pour traverser ces temps agités » a commenté Bernard d’Alessandri, Secrétaire Général du Y.C.M. et Président du Cluster « Yachting Monaco ».

Ambassadeur du Y.C.M. sur les plans d’eau du monde entier, armateur du super-yacht Lady Christine et régatier aguerri, Lord Laidlaw comptait parmi les convives. L’occasion pour son Yacht Club de lui remettre en ouverture du symposium le Trophée du YCM Sailor of the Year 2020, qui lui avait été décerné en décembre dernier.

 

La pandémie a-t-elle impacté l’industrie du Yachting ?

Après une année régie par les restrictions sanitaires en raison de la pandémie de la Covid-19, les secteurs du monde entier ont dû redoubler d’énergie pour faire face. L’industrie de la Grande Plaisance a réussi quant à elle à passer à travers les gouttes, en témoignent ses bons résultats dans le secteur de la vente. Paradoxalement, l’année 2020 a ainsi été la meilleure année de tous les temps dans la vente de bateaux de deuxième main de plus de 24 mètres. Une année qui a connu une forte demande pour les petits comme pour les grands yachts.

Avec 409 unités de plus de 30m vendues sur l’année écoulée et un mois de décembre considéré comme le meilleur mois de décembre jamais enregistré avec 57 unités vendues, le marché se porte bien, même si l’année a été en dents de scie dans le secteur de la vente des unités de deuxième main. Le marché de la vente en 2020 a donc pris un bon départ en janvier et février, dépassant ceux de la même période en 2019. Mais en mars, les restrictions impactant les croisières et les voyages ont modifié la donne au cours des mois suivants. Un état des lieux sur lequel est revenu Jamie Edmiston, CEO de Edmiston.
« Les livraisons de janvier et février étaient élevées, mais avec l’effondrement du marché en mars jusqu’en mai, nous avons vu le premier semestre de 2020 en baisse de -36% par rapport à 2019. En avril, le marché était en baisse de 77 % par rapport à avril 2019, alors qu’en août, les ventes mondiales de yachts ont augmenté de plus de 115 %. Les troisième et quatrième trimestres de 2020 ont connu un nombre total de ventes plus élevé que les deux trimestres de 2019 et 2018 dans la même période »

Mais dans la même période, Jamie Edmiston explique aussi que « de nombreux évènements ont été annulés, comme le Singapore Yacht Show, Dubaï International Boat Show, MYBA Charter Show ou encore le Palma Superyacht Show. Et cela s’est prolongé à l’automne avec les annulations de Cannes et Monaco. Il a fallu adapter certaines façons de travailler, en particulier dans notre relation avec nos clients. Personnellement, je suis passé de 85 voyages par an en moyenne, souvent long-courriers, à 6 depuis mars 2020, et un seul de plus d’une journée ! ».

Pour les plus grandes unités, le segment de 50 à 60 mètres concentre la plus grosse part de marché avec 42% des commandes. Mais les unités de taille encore supérieure ne sont pas en reste. 16% sont des super-yachts de 60-70 m, 19 % de +90 m, 25 % de 70–90 m. 26 de ces unités (+50m) ont ainsi été commandées à 18 chantiers navals différents aux cours de l’année passée. L’Italie reste le pays qui domine le marché et possède les chantiers navals les plus actifs.

A noter que le marché des plus de 70 mètres montre également des résultats plus que satisfaisants, avec 59 yachts actuellement en construction. Enfin, malgré la crise, les commandes de super-yachts de plus de 85 mètres ont aussi augmenté par rapport à 2019. Les prévisions font par ailleurs état d’une progression dans les commandes pour 2021/2022. « Cela donne une bonne indication » continue Stewart Campbell, et les professionnels s’attendent à voir leurs commandes se multiplier. « Le gros travail fourni par les chantiers navals en 2020 afin de maintenir les délais face à la pandémie doit aussi être salué. Pour 2021, nous nous attendons au même niveau de livraisons » évoque Stewart Campbell de Boat International. Et de conclure : « L’industrie, du moins sur le marché du brokerage et de la construction neuve, a surmonté la crise ».

Des points de vue partagés par Anthony Buneta, Head of Mega-Yacht and Jet Financing à la Société Générale. Si le secteur de la vente a tout d’abord été à l’arrêt en mars-avril 2020, les ventes ont rebondi de 30% en juin, 40% en juillet, 50% en août et de plus de 50% en septembre. « Décembre ayant été le meilleur mois en termes de ventes » précise-t-il.

En revanche, la situation a été plus compliquée pour le charter. Même si l’activité a été impactée du fait des restrictions de voyage, et que l’été qui vient pourrait être compliqué, les pics d’activité enregistrés l’an passé, en particulier en juillet et août, et dès que les voyages ont été possibles, démontrent l’attrait du charter dans cette période d’incertitude sanitaire. Prendre le large et voyager à bord d’un yacht devrait ainsi être une préoccupation majeure des armateurs et des clients charter sur la saison à venir. « Durant l’été 2020, les clients réservaient un charter, rentraient de leur voyage, avant d’en réserver un nouveau » . confie Jamie Edmiston. Selon lui, qui a déjà constaté la vente de 18 yachts de +30 mètres en janvier 2021 et la commande de 11 yachts de +50 mètres au cours des deux derniers mois, 2021 s’annonce plus florissant. « Malgré le challenge que cette crise représente, nous pouvons être optimistes ».

 

La crise financière versus la crise sanitaire

Le parallèle entre les effets de la pandémie et ceux de la crise financière de 2008-9 qui avait fortement impacté l’activité était un sujet intournable de ce rendez-vous. Pour Michel Buffat, Head Aviation & Yacht Finance, Credit Suisse, le pire scénario n’a pas eu lieu : « les banques étaient mieux préparées cette fois-ci, tout comme les clients. » Différentes explications pour étayer cela : la crise est sanitaire et non financière, les propriétaires de yacht sont mieux préparés et n’ont pas atteint leurs limites financières, il n’y a pas eu de battage sur le marché boursier juste avant la crise sanitaire, les interventions du gouvernement ont aidé de nombreuses entreprises à survivre et, enfin, la reprise des marchés boursiers a été beaucoup plus rapide qu’en 2008-2009. Mais si l’optimisme est bien présent, il est tout de même mesuré puisque tout cela n’est pas encore terminé. « Nous avons eu une bonne année, aussi surprenant soit-il, mais il faudra garder un œil sur plusieurs facteurs, notamment déterminer ce qui va peser le plus entre les pratiques financières des acheteurs et l’attrait des vacances « COVID-remote » ».

 D’autres interrogations subsistent : « si les fermetures se poursuivent cet été, si les gouvernements ne peuvent pas continuer à sauver les entreprises et enfin si le chômage augmentait massivement ? » Tout cela pourrait avoir un impact sur les ventes de yachts, les prix des bateaux et certainement sur les nouvelles commandes met en garde Michel Buffat.

 « Les crises inattendues génèrent des niveaux élevés d’incertitude alors que les décideurs s’efforcent d’ajuster la politique. Souvent, une crise commence au niveau local (États-Unis en 2008, Wuhan en 2019) et se diffuse à l’échelle mondiale » note Alan Mudie, Global Head of Investment Strategy à la Société Générale. « Nous verrons ce que donneront les campagnes de vaccination afin d’envisager un été plus propice aux charters » poursuit-il. « Pour limiter l’impact de ces chocs, les autorités monétaires et les politiques fiscales ont été déployées pour fournir un soutien massif. L’expérience de 2008 a permis aux décideurs politiques d’être mieux équipés pour faire face à la COVID-19. Les outils monétaires non conventionnels, tels que l’assouplissement quantitatif ou les taux négatifs, vont devenir la nouvelle normalité. Les pays du G20 ont reconstruit la stabilité du système financier en rétablissant l’adéquation des fonds propres et en réduisant l’effet de levier, le système financier est aujourd’hui plus résistant que jamais ».

Tanguy Ducros, Chief Commercial Officer de Monaco Marine constate que le secteur se porte bien, les propriétaires profitant de cette situation pour remettre en état leur navire. « Spécialiste dans le refit des yachts de 50 m à 80 m, Monaco Marine possède 9 chantiers naval entre Monaco à Marseille. Entre 2008 et 2020, nous sommes rentrés dans une nouvelle ère et nous avons continué notre politique d’expansion. Désormais, nous mettons l’accent sur la sophistication des bateaux, des demandes de refit plus complexes et nous répondons aux demandes des équipages toujours plus nombreux et demandeurs de services. La crise sanitaire n’a pas freiné notre progression, en témoigne nos travaux sur les sites d’Antibes et de Marseille ».

Paris Baloumis, Group Marketing Manager chez Oceanco est revenu sur les grandes lignes du marché à savoir le profil des potentiels acheteurs, le nombre de yachts de plus de 80 mètres existants et ce qu’ils représentent sur le marché. Le nombre de milliardaires ne fait qu’augmenter depuis 2008. S’ils étaient 2189 en 2020, ils seront 2362 en 2021 selon les dernières projections. « Donc plus de potentiels acheteurs » note-t-il. « En 2008, nous faisions face à un marché au ralenti et ce pendant les deux ans qui ont suivi. Mais nous savions que cela allait redémarrer. Le plus intéressant aujourd’hui, malgré la crise sanitaire, nous sommes prêts à repartir en 2021. Nous avons tout fait pour maintenir la confiance, que ce soit avec nos clients mais aussi nos employés. Les clients comprennent la pandémie et nous soutiennent. Aucun ne nous a tourné le dos. » Une fidélité qui permet aux acteurs du marché de garantir une tendance qui n’accroît pas l’inquiétude. Paris Baloumis de rajouter que l’industrie change très vite. « Nous travaillons donc au projet suivant car nous devons nous tourner vers le futur et l’anticiper. Nous préparer à la prochaine crise, qui sera celle du changement et le réchauffement climatique. Ce n’est pas pessimiste que de dire cela, mais réaliste. A nous de nous mobiliser, de travailler sur ce sujet. Il existe des initiatives et la création d’outils pour mesurer l’impact environnemental des super-yachts. Nous avons la responsabilité de changer cela ».

Et Bernard d’Alessandri d’acquiescer et de poursuivre « l’urgence climatique est une réalité. Notre industrie sait qu’elle doit se réinventer comme le fait le secteur automobile » c’est dans cet esprit qu’a été créé le SEA Index, un référentiel pour mesurer l’impact environnemental des yachts de plus de 40 mètres. Cet indice a été conçu pour évaluer et améliorer leurs performances environnementales afin de réduire leurs émissions de carbone.

Après son Symposium économique « La Belle Classe Super-yachts », les regards sont désormais tournés vers le Symposium environnemental qui sera organisé le jeudi 25 mars dans le cadre de la Monaco Ocean Week en collaboration avec la Fondation Prince Albert II. Une journée de rencontres et d’échanges qui démontre le dynamisme et la volonté du Y.C.M, acteur majeur de cette industrie, de susciter des vocations et de construire le Yachting de demain, avec pour ambition d’ériger Monaco en Capitale du Yachting, un projet qu’il a initié en 2013.

 

Quelques chiffres :

409 : nombre d’unités de plus de 30m vendues en 2020

56 m : la longueur moyenne des super-yachts construits en 2020

2189 : milliardaires recensés dans le monde en 2020

144 : nombre de super-yachts de +80m livrés en 2020