Expédition – Sir Ernst

 

Mercredi 27 octobre 2021. Les quarts sont à la base de l’organisation de la vie du bord. Sur tous les navires qui naviguent, quelle que soit l’heure, un marin veille assurant la sécurité et la marche du bateau. Il existe de multiples combinaisons, mais le principe est immuable. Seuls les solitaires s’autorisent une entorse à cette règle, confiant leurs courtes périodes de sommeil et la sécurité de leur voilier à des instruments électroniques dont les alarmes seront censées les réveiller en cas d’urgence. Sur Sir-Ernst, le système est rodé et nous avons adopté pour cette transat, des quarts de 2 heures. Les 5 membres de l’équipage prennent leur tour, 8 heures de repos succèdent aux quarts de 2 heures. Entre midi et 14 heures, les quarts sont neutralisés permettant un décalage par tranche de 24 heures. Ainsi, les quarts les « moins » appréciés ne reviennent que d’une semaine sur l’autre.

 

 

Après 10 jours de mer et une petite fatigue pointant son nez, je dois être « libéré » à minuit. Une bonne sieste dans l’après-midi devrait me permettre d’affronter cet ultime quart de la journée dans de bonnes conditions et ne pas à devoir lutter contre des bâillements de plus en plus répétitifs qui font que ces moments où toute notre vigilance est requise, traîne quelquefois en longueur… L’âge avançant, j’apprécie de moins en moins à être sur le pont entre minuit et 2 heures du matin, ou bien entre deux heures et quatre heures. Ma nuit de sommeil est coupée et mon moral affecté ! Mais ce soir, j’ai tout préparé. Mes boules Quies sont à portée de main, j’ai même prévu de changer de tee-shirt pour m’endormir dans des volutes de coton parfumé par la dernière lessive. D’autant plus qu’après le dîner,  après que le premier grain musclé de la traversée nous soit tombé dessus, nous avons pris un deuxième ris. Nous serons bien un peu sous-toilés, mais parés à encaisser des surventes éventuelles. Les équipiers sont rodés à rouler rapidement le génois en cas de besoin. Rien ne devrait donc perturber une nuit de 8 heures de sommeil. Le rêve…J’ai dû m’endormir rapidement.

 

 

 

Mais sans aucune notion de la durée de mon sommeil, des bruits de voix saccadés et la turbine de l’hydrogénérateur en survitesse me font émerger. Dehors ça s’active, mais les intonations de voix sont significatives. Je bondis, ils sont trois, je me demande un instant qui est de quart, histoire de situer l’heure et la durée de mon sommeil. Mince ! je n’ai dormi qu’une heure. François, à la barre, a repris le contrôle du voilier, le pilote s’est déconnecté. Le barreur reçoit de plein fouet quelques belles vagues et commence à ressentir le froid, la température à  baissé de 10°, il fait encore 19°, mais avec un vent qui monte à 40 nœuds dans les rafales et des trombes d’eau, le ressenti est « frisquet ». Pas de panique, j’explique vite la procédure, il faut éteindre la centrale de navigation, l’alarme sera coupée. Tout le monde s’équipe, puis on manœuvre, la marche du voilier reprend, on reconnecte le pilote. Tout va bien, mais nous sommes entourés de grains noirs et menaçants, qui bientôt, nous tombent dessus. Rebelote, cela se passe bien et après 2 heures toniques, je regagne ma couchette. Il est 3 heures du matin… Les voiles claquent, j’ai trop l’habitude de Sir-Ernst pour ne pas comprendre que nous sommes dans la pétole. Dehors ça s’active durant une demi-heure et le voilier repart. En survitesse cette fois-ci. Manifestement le génois est trop déroulé. Je remonte. Punaise, les mêmes que tout à l’heure, à croire qu’ils le font exprès (les pauvres …) Une autre petite demi-heure plus tard,  tout va bien. retour vers la couchette. Il est 5 heures ..

D’habitude, l’homme de quart qui termine à 8 heures prépare le petit déjeuner, j’entends des bruits dans la cuisine, ça va bientôt sentir le café. Je me demande si je me lève déjà.  ! La cafetière me tend les bras dans la cuisine, je me sers, mais rien ne coule, elle est vide. Charley désolé m’indique qu’il reste du café moulu et de l’eau chaude. Ce café va m’aider à repartir de bon pied. J’aurais dû me méfier, la bouilloire ne m’a pas brûlé comme d’habitude, je goûte, le café est tiède.

Dépité j’envisage de me recoucher. Je regarde l’heure, il est 8 heures.

C’est l’heure de mon quart…

Hervé